Dans mon premier blog, j’avais mené une petite enquête sur Juicy Fields, l’investissement exotique de l’époque. Je voyais énormément de mes abonnés et certains de mes proches tomber dans cette arnaque.
Lorsque j’exprimais mes doutes, on se fichait littéralement de moi.
Je me suis donc lancée dans une investigation afin d’alerter sur les risques… et pour cause ! La plateforme Juicy Fields s’est effondrée avec pertes et fracas, et désormais, les articles mainstream sur le sujet ne manque pas.
J’ai été insultée et menacée pour avoir écrit l’article que je m’apprête à vous repartager ici. Mon numéro a même été ajouté dans un groupe Telegram d’investisseurs dans une gigantesque campagne de harcèlement.
Jamais je ne suis revenue sur mes positions et l’histoire m’a donné raison.
Je repartage cet article tel qu’il a été rédigé en janvier 2022 afin que vous puissiez comprendre la démarche globale d’un travail de recherche que chacun peu mener à son niveau. Bonne lecture, et surtout, restez prudents dans le monde de l’investissement !
À retrouver dans la wayback machine :
Faire ses propres recherches et éviter les arnaques : cas concret Juicy Fields
Je n’ai pas l’habitude d’écrire des articles tournés vers l’investigation. Pourtant, la veille, c’est un peu mon métier. Et pour tout ceux qui ignoraient encore l’origine du nom de ce blog, la veille de ma réussite, c’est directement inspiré de mon taff : la veille.
Alors la veille c’est quoi ? C’est la collecte, l’analyse (et donc le recoupement) et la mise en forme d’informations issues de sources ouvertes. C’est le fameux processus qui consiste à transformer l’information brute en renseignement.
Je vais donc aborder un sujet très courant dans le monde de l’investissement : le Ponzi. Je me suis essentiellement basée sur des investigations d’autres personnes. C’est la première étape du travail de veille. La deuxième étape, c’est me baser sur des sources primaires, en faisant un vrai travail de fond d’OSINT, en partant des pistes exhumées lors de ma première phase de recherches. Mais je ne vais pas vous perdre avec du verbiage…
Vous vous souvenez de Bernard Madoff ? Si ce n’est pas le cas, vous n’êtes peut-être pas aussi vieux que moi. Auquel cas, je vous renvoie vers d’innombrables sources en ligne qui seront 10 fois meilleures que moi pour expliquer qui il était et ce qu’il a fait. Mais pour vous la faire courte, Bernard Madoff, c’est un escroc américain qui a fini sa vie en taule pour avoir monté l’un des plus gros systèmes pyramidal au monde.
La fameuse pyramide de Ponzi, c’est quoi ? C’est un système « qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants ». En gros, il n’y a aucune valeur qui est créée : l’argent généré provient essentiellement des gens qui mettent de l’argent dedans.
Le cas concret du jour, j’ai nommé l’entreprise louche en vogue en ce moment sur les réseaux sociaux français : Juicy Fields.
Juicy Fields, un acteur du cannabis thérapeutique ?
Le cannabis médical : état de l’art.
Le cannabis thérapeutique fait beaucoup parler de lui en ce moment. Très récemment, l’Agence Européenne du Médicament a autorisé le lancement d’expérimentations sur le cannabis thérapeutique. La décision a été entérinée en 2019 (voir la décision sur europarl.europa.eu).
En France, l’expérimentation du cannabis thérapeutique a été autorisée en mars 2021 (ansm.sante.fr), avec l’inclusion du premier patient au CHU de Clermont-Ferrand (solidarités-sante.gouv.fr).
Si la France est relativement en retard sur les recherches en lien avec le cannabis médical, cela n’est pas le cas d’autres pays, comme le Portugal ou les Pays-Bas par exemple (courrierinternational.com). Au Portugal, la prescription de cannabis médical n’est pas nouvelle car elle est possible depuis 2018. Plus globalement, ce qu’on peut dire sur ce secteur, c’est qu’il est relativement jeune et assez peu régulé. Il n’y a aucune cohérence en Europe, et chaque pays fait un peu à sa sauce.
Les acteurs dans le monde de la production et de la recherche sur le cannabis médical ne sont pas nouveaux et sont déjà des géants lorsque l’on regarde les chiffres d’affaires. Les entreprises sont essentiellement canadiennes ou américaines (wikipedia) :
- Curaleaf, société américaine, 653 millions de dollars de CA.
- Canopy Growth, société canadienne, 607 millions de dollars de CA.
- Aphria, société américaine, 550 millions de dollars de CA.
- Aurora Cannabis, société canadienne, 248 millions de dollars de CA.
- Tilray, société canadienne, 214 millions de dollars de CA.
- Cronos Group, société canadienne, 9 millions de dollars de CA.
Ces entreprises développent elles-mêmes, dans leur majorité, leurs filières de production de plants de cannabis.
Apparté : pourquoi les entreprises pharmaceutiques classiques ne se penchent pas plus que ça sur le cannabis thérapeutique ? Le cannabis thérapeutique, c’est relativement nouveau et ça reste une expertise bien spéciale : on se base sur les plantes et toutes les entreprises n’ont pas ou ne souhaitent pas acquérir cette expertise. C’est une structure et une logistique bien particulière de développer des filières de production et de recherche sur une plante. Les essais cliniques jusqu’à lors ont fourni des résultats mitigés en fonction de la pathologie traitée : ceci peut aussi expliquer qu’il n’y ait pas foule au portillon. En 2017, un gigantesque travail de synthèse a été réalisé par les académies de sciences, d’ingénierie et de médecine aux Etats-Unis sur le cannabis médical, permettant de faire l’état des lieux de la recherche scientifique sur le sujet (nationalacademies.org, lefigaro.fr en a fait un bon résumé). Le cannabis thérapeutique possède en effet du potentiel dans le domaine des douleurs chroniques par exemple, ou sur les effets secondaires de la chimiothérapie. Mais on ne peut clairement pas dire pour le moment qu’il s’agit de la molécule du siècle, sachant que la chimiothérapie, ce n’est plus l’alpha et l’oméga du traitement contre le cancer (cf : le développement de l’immunothérapie et des thérapies ciblées).
Certaines informations tronquées ou tout simplement fausses circulent sur de prétendus investissements massifs de Big Pharma dans le cannabis médical. La plus risible est le raccourci qui consiste à dire que Pfizer a investi 6,7 milliards de dollars dans le cannabis thérapeutique.
La véritable histoire, c’est que Pfizer a racheté pour 6,7 M de dollars Arena Pharmaceuticals, un laboratoire qui possède en effet… un seul produit en développement à base de cannabis thérapeutique pour traiter le syndrome de l’intestin irritable (lefigaro.fr). L’olorinab est actuellement en phase 2 (arenapharm.com). Il n’y a pas de quoi se rouler par terre…
Un internaute sur Twitter a plutôt bien remis les choses en perspective. Avec son autorisation, je vous mets ses tweets intéressants ici :
La place de Juicy Fields dans le cannabis médical.
Quel est le concept de Juicy Fields dans tout ça ? Juicy Fields est un site de prêt et de financement participatif qui collecte des fonds auprès de petits investisseurs et les prête à des producteurs de cannabis autorisés et légaux.
Concernant les prix pratiqués par Juicy Fields : l’entreprise prétendait toucher plus de 3 000 € par kilogramme. Ce qui revient à dire, indirectement, qu’ils ont un retour sur investissement 4 fois supérieur à celui des plus grandes sociétés de cannabis au monde ! En effet, en moyenne, les prix pratiqués dans l’industrie sont autour de 2,5 euros par gramme.
Chez JuicyFields, vous avez le choix entre 4 packs de plantes de cannabis différents avec des cycles de récolte et des renouvellements différents. Vous pouvez obtenir le premier plant (Juicy Flash) pour seulement 50 euros.
Le plan JuicyMist vous rapporte entre 3600 et 4800 $ en 3 ans. JuicyKush vous rapportera entre 6000 $ et 9000 $ en 4 ans et JuicyHaze vous rapportera 9000 $ à 12000 $ en 5 ans.
Il s’agit de rendements de plus de 110 % par an ! Si vous trouvez ces rentabilités normales, alors que nous avons désormais des points de comparaisons fiables (à savoir les autres géants du cannabis thérapeutique), je ne peux plus rien pour vous.
[Update : suite à ma question posée au support, voici les détails fournis au sujet de la rémunération :
JF affirme que les plants sont ouverts à la visite et qu’il suffit de venir : quel investisseur est réellement allé le faire ? Sanofi a-t-il besoin de préciser que n’importe qui pourrait venir dans ses usines pour venir voir ? Outre le fait que cela soulève le doute, ce n’est pas souhaitable qu’un illustre inconnu se pointe dans une usine de médicaments pour visiter les installations… il y a des lois et des organismes de contrôle pour ça.
On me retorque souvent également qu’il y a des caméras dans les serres et qu’on peut se log et les regarder en live. Sincèrement, en quoi cela est-il une quelconque preuve de la probité du montage financier ? Soyons juste sérieux et essayons de donner des arguments concrets, et pas uniquement ceux véhiculés par l’entreprise qui essaye de se défendre. D’ailleurs, le sujet des caméras a déjà été abordé par un blogueur espagnol (à retrouver sur tecnonianos-com) : il semble qu’il y ait une incohérence sur les localisations exactes des serres. J’ai contacté l’auteur du blog pour en savoir plus.
Il n’y a pas que moi qui semble avoir des doutes : un groupe d’intérêt s’est déjà constitué au Portugal, « juste au cas où » l’entreprise se barrerait avec la caisse.
Concernant la production, on peut se référer aux photos envoyées dans le groupe Télégram de JuicyFields. Lorsque l’on compare avec des plants de sociétés comme Aurora ou Tilray, la différence est intéressante.
Des photos relayées par le passé par Juicy Fields sur leur canal Telegram :
Juicy Fields, une société opaque.
Dans l’industrie pharmaceutique, même lorsqu’il s’agit de cannabis, il y a des normes : la production se fait généralement sous serre, les plantes doivent être saines lorsqu’elles arrivent en salle de séchage, ce qui ne semble pas être le cas chez JF, si tant est que les photos qu’ils véhiculent soient vraiment des plants qui leur appartiennent.
Juicy Fields a plutôt bien travaillé sa vitrine externe pour parer aux critiques habituelles faites aux pyramides de Ponzi :
- Montages d’entreprises dans des paradis fiscaux => l’entreprise a un siège social en Allemagne.
- Opacité de l’équipe dirigeante => des profils LinkedIN ont été créés pour l’équipe dirigeante et des noms et des visages ont été posés sur chaque fonction.
- Absence de communauté en ligne => présence d’une communauté Télégram active et présence de comptes officiels sur les réseaux sociaux.
- Mauvais fonctionnement au niveau financier, avec difficulté de retrait de son argent => retirer son investissement est possible… pour le moment.
Tout cela suffit en effet à rassurer l’investisseur qui ne cherche pas plus loin que le bout de son nez… Surtout que lorsque l’on va sur TrustPilot, les avis sont majoritairement positifs.
Néanmoins, les faux avis, les faux followers, les faux commentaires, restent monnaie courante sur internet et on ne peut s’y fier.
Pourquoi j’affirme que Juicy Fields est une société opaque ?
Premier red flag, le montage de la société.
Le fait que l’entreprise soit domiciliée en Allemagne suffirait à rassurer les investisseurs. On est en effet en Europe et pas dans un paradis fiscal. La plateforme est gérée par la société berlinoise Juicy Grow GmbH, enregistrée le 12 février 2020.
L’objet commercial de Juicy Grow GmbH ne mentionne nulle part qu’elle fait de la culture de cannabis ou quoi que ce soit en lien avec la culture, comme on peut également le voir sur northdata.de. Elle a déclaré faire de la vente de serres et de matériel de plantations, plutôt artisanales qu’industrielles.
Juicy Grow GmbH est également l’exploitant de la boutique en ligne de serre juicygrow.eu, le directeur général étant Viktor Bitner. On y reviendra plus tard.
Depuis peu, la société est également enregistrée aux Pays-Bas et non plus en Allemagne, ce qui crée encore plus d’interrogations. En outre, il existe une nouvelle entreprise en Suisse appelée Juicyfields AG, qui est censée détenir une participation avec d’autres sociétés au Lichtenstein notamment (Newsletter en date du 31 décembre 2021, où l’entreprise mentionne la création d’un « fonds d’investissement alternatif au Liechtenstein« ). Quand il y a un tel enchevêtrement, c’est étrange.
Le réseau de l’entreprise, selon northdata.com
Selon le mapping ci-dessus (source sur northdata.com), on constate plusieurs autres sociétés reliées au même dirigeant, et notamment JUICY GROW FENSTERBAU GMBH : « Trade, supply and assembly of window elements in wood, aluminium and PVC ». Rien à voir avec le cannabis ou avec un quelconque service financier.
Concernant Kaisers-Wurst, c’est encore plus rigolo (et c’est là que ça commence à devenir très flippant) : il s’agit d’une société initialement immatriculée au Royaume-Uni (voir source sur find-and-update.company-information.service.gov.uk), entre deux associés : Viktor Bitner et… Valery Reshetin, un type vivant à Moscou. Premier lien avec la Russie, on va creuser ça un peu plus tard.
Concernant l’entreprise « le Kaiser des saucisses », la boîte s’appelait à l’origine « WURSTKOENIG » et elle a été immatriculée à Stockport, une ville au sud de Manchester. Depuis sa création en 2011 et sa dissolution en 2020, on ne peut pas dire qu’il se soit passé grand chose dans les finances de l’entreprise, qualifiée de « dormant company » sur le site anglais.
Là où ça prend des airs de film, c’est que notre ami Viktor est mentionné dans ce fil Twitter : on comprend que c’est bien de lui et de sa société de saucisses qu’on parle dans cet article du New York Times qui relate une sombre histoire d’enfumage du renseignement américain par des escrocs germano-russes. L’article est probablement payant, il va falloir utiliser la WayBack Machine (ICI) pour y accéder ou alors lisez-le en cache.
Voici le paragraphe qui nous intéresse dans l’article du NYT : « There were other questions about the Russian’s reliability. He had a history of money laundering and a thin legitimate cover business — a nearly bankrupt company that sold portable grills for streetside sausage salesmen, according to British incorporation papers« . Nom de Zeus, Viktor !
2e red flag : des résultats financiers très étranges.
Dans les derniers résultats financiers publiés par la société allemande, les chiffres communiqués ne sont élevés, ce qui est étonnant de la part d’une entreprise qui affirme avoir fait des millions de ventes depuis sa création… (voir ICI ma source initiale, et ICI pour la source officielle bundesanzeiger.de) :
- le total des actifs s’élève à 316.786,44€.
- les capitaux propres s’élèvent à 192.568,11€.
Dans une Newsletter envoyée le 29 décembre 2021 où la société fait le bilan de son année, elle affirme que « 72 138 742 de fleurs séchées ont déjà été récoltées« . Si l’entreprise vend au minimum 1,5€ le gramme, ça devrait faire au moins 100 millions d’euros de ventes. Comment une boîte qui récolte plus de 72 millions de grammes en 2021 peut avoir fait un bilan à seulement 316 786,44€ en 2020 ? Cela signifie que la progression entre 2020 et 2021 serait absolument faramineuse : on attend les chiffres de l’année qui vient de s’écouler (s’ils sont publiés…).
3e red flag, les autorisations.
Il est étonnant que juicyfields.io ne dise pas un mot d’une autorité de surveillance financière dans sa description, dans la mesure où juicyfields.io passe pour un fournisseur de services financiers selon sa propre description. Vu que c’est une société européenne, cela devrait être obligatoire, non ?
4e (très gros) red flag, les dirigeants.
Selon l’extrait du registre du commerce, Juicy Grow GmbH est désormais dirigée par le directeur général unique Viktor Bitner. Or, sur le site web officiel, c’est un certain M. Alan Glanse qui serait le directeur général. Alan Glanse est un illustre inconnu : la seule mention dans le milieu des affaires est à retrouver dans cet article de Forbes au sujet du Bitcoin, où il explique avoir acheté en 2012 100 Bitcoins à un ami qui avait besoin d’argent pendant « ses années à Wallstreet ». C’est très étrange car quand on regarde son profil LinkedIN, en 2012, il était censé être « Chief Business Development Officer » chez Merck. Le siège de Merck aux USA n’est absolument pas situé à Wall Street, mais à Kenilworth dans le New-Jersey. J’en sais quelque chose, je suis moi-même salariée chez Merck mais en France (quelle surprise d’ailleurs d’avoir constaté, en consultant le profil LinkedIN de ce type, qu’il avait bossé dans la même boîte que moi ! C’est en cours de vérification de mon côté, mais j’ai de très gros doutes…).
De plus, il semble que Alan Glanse possède 0% de Juicy Fields.
Quant à Viktor Bitner, comme mentionné plus haut, on a retrouvé sa trace via ce fil Twitter. On est donc sur un monsieur qui semble avoir l’habitude du blanchiment d’argent et de l’escroquerie, mais pas n’importe quelle escroquerie : l’escroquerie de haut vol de services de renseignement étrangers. Je vous laisse lire encore l’article du NYT pour en savoir plus sur les milieux qu’il fréquente.
5e red flag : une incohérence dans l’histoire de l’entreprise.
Juicyfields.io a déclaré que la société ou la plateforme a été fondée en 2017 et agrandie en 2019. Or, la société allemande a été enregistrée en 2020 comme on l’a vu précédemment. Les données trouvées sur la Wayback Machine tendent aussi vers un lancement plutôt en 2020. Pourquoi cette incohérence dans les dates ?
Inutile de venir me contredire en disant que la FAQ actuelle du site ne mentionne pas ce que j’écris. Je parle bien des versions antérieures du site et c’est bien ça qui nous intéresse aujourd’hui : la cohérence du discours de l’entreprise dans le temps. Pour voir la version du site en 2020, utilisez la Wayback Machine ICI.
6e red flag : des mises en garde de la part de plusieurs régulateurs financiers.
Juicy Fields figure sur une liste d’avertissement du régulateur financier espagnol CNMV (cnmv.es).
Juicy Fields fait l’objet d’une mise en garde du régulateur financier allemand BaFin car il s’agit d’une offre d’investissement non autorisée (bafin.de).
Un autre blogueur a interrogé le régulateur financier hollandais, vu que JF possède une société en Hollande. Je vous copie sa réponse ici ci-après (optionsbinairesarnaques.net).
Les pratiques douteuses de Juicy Fields
Les faux partenaires dans le passé
Initialement, sur plusieurs sites web notamment en espagnol, Juicy Fields expliquait avoir noué des partenariats avec des entreprises qui sont les plus grandes entreprises du cannabis au monde (si vous avez du temps à tuer entre 2h et 3h du matin, n’hésitez pas à utiliser la Wayback Machine pour checker leurs annonces de partenariats sur leurs anciens site dans d’autres langues).
Or, ces mentions de partenariat ont rapidement disparu, car Juicy Fields ne possède aucun partenariat avec aucun géant du cannabis thérapeutique. À noter : j’ignore à ce stade si ce site espagnol était un site officiel ou non, ainsi que son lien avec la « vraie » équipe de JF.
Ces partenariats ont été démentis par les entreprises elles-mêmes (voir ICI un exemple avec Canopy).
Concernant les partenaires locaux de Juicy Fields, c’est assez flou. JF a affirmé par exemple avoir eu un partenaire en Macédoine (sur Facebook notamment en 2020, et leur site en anglais). Or, ce pays n’autorise pas actuellement l’exportation de fleurs de cannabis (france24.com). Selon un article du New York Times, seule l’huile, les extraits et les teintures peuvent faire l’objet d’un export, et le gouvernement reste un obstacle pour les industriels car l’activité est soumise à l’attribution d’une licence officielle. Au passage, le même article précise que seuls deux pays européens autorisent officiellement la culture et l’export de cannabis thérapeutique : le Portugal et les Pays-Bas. Pour revenir sur la Macédoine, un projet de loi est en cours concernant l’export (voir sur le site officiel du gouvernement macédonien vlada.mk) avec la création d’une agence d’état dédiée à ce sujet. A noter que le cannabis thérapeutique est bien autorisé en Macédoine depuis 2016, mais seules de petites quantités de Marijuana y sont produites chaque année (balkaninsight.com) et les producteurs sont incapables de vendre leur production à l’international : l’activité est peu encadrée, laissant une production de mauvaise qualité, inadaptée au marché européen notamment qui possède des normes de qualité stricte. Nous évoquerons ce point à nouveau juste après.
[UPDATE : j’ai posé la question directement via le mail info@juicyfields.io. Ils m’ont répondu ne plus travailler avec leur partenaire en Macédoine, et on a enfin un nom : 5 letters. La licence de cet exploitant a en effet été retirée fin 2021 comme on peut le voir sur cet article de republika.mk. L’entreprise était en effet impliquée dans des affaires de contrebande de marijuana. Peut-on en conclure que JF collaborait avec des entreprises douteuses qui exportaient du cannabis illégalement, dans le plus grand des calmes, tout en promouvant des retours sur investissement faramineux à leurs investisseurs ? je vous laisse en juger… ]
Absence de KYC systématique
Depuis 2017, il est obligatoire pour toute entreprise fournissant des services financiers, y compris les sociétés de P2P et de Crowdfunding, d’avoir un questionnaire de type KYC, dans lequel figurent les données fiscales, un justificatif de domicile, des copies de passeport ou de carte d’identité, la déclaration d’origine des fonds et un petit questionnaire sur les connaissances en investissements P2P. Cependant, le KYC chez Juicy Fields semble être totalement aléatoires selon les témoignages que j’ai reçu.
Compte à Chypre : une simple optimisation fiscale ?
L’une des façons d’investir dans Juicy Grow est le transfert de crypto-monnaie ou le virement bancaire. Dans l’IBAN fourni par la société Alema Juicy, nous constatons qu’il n’appartient pas à un compte en Allemagne mais à Chypre !
Par ailleurs, l’IBAN, appartient à un établissement de paiement et non pas à JF directement. L’explication se trouve sur leur FAQ, mais je ne trouve pas cela convaincant personnellement.
Par ailleurs, l’IBAN, appartient à un établissement de paiement et non pas à JF directement. L’explication se trouve sur leur FAQ, mais je ne trouve pas cela convaincant personnellement.
Une enquête ouverte en Allemagne ?
En Allemagne, une enquête est ouverte par la LKA (Landeskriminalamt, une police d’État chargée des missions de police judiciaire) selon un mail reçu par un blogueur allemand qui s’est également penché sur JF. Voir ICI.
Un internaute montré sur le blog semble être parvenu à échanger avec un officier de police chargé de l’affaire : il semble que pour la police allemande, le fonctionnement de JF ne soit pas clair : ils ne comprennent pas comment de tels rendements sont possibles, ce qui a éveillé les soupçons de fraudes.
Des partenaires étranges
Concernant Canna Yeza, j’ai continué à creuser avec l’aide de plusieurs personnes que je remercie ici au passage. Le partenaire me semble très étrange et ce, pour plusieurs raisons :
- Le site que j’ai visité il y a quelques semaines cannayeza.com est actuellement down. Le site était hébergé en Serbie même si le numéro de téléphone du déclarant semble être un téléphone sudafricain (domainbigdata.com).
- Le site actuellement présenté sur leur page Facebook est également down : cannayeza.co.za. Il est pour le moment bien référencé en Afrique du Sud (domainbigdata.com).
- L’entreprise n’a jamais été mentionnée sur un quelconque réseau social avant 2021. Sur Twitter, la première (et quasiment la seule) mention apparaît sur le compte Twitter @JuicyFields_FR en novembre 2021. Le compte JF France est d’ailleurs le seul compte relié à JF à mentionner ce partenaire sur Twitter.
- Le plus troublant, c’est leur logo. En novembre 2021, ils ont changé de logo.
Leur ancien semble avoir été volé chez Potomac Holistics (potomacholistics.com) :
- Les photos douteuses : sur le site qui a été supprimé (on passera d’ailleurs sur les articles qui semblent avoir été anti-datés), on voyait le visage d’une femme sur un article :
C’est le même visage sur un avis client laissé 🙄 :
La photo de cette pauvre dame est utilisée un peu partout sur le web :
Les éléments positifs : une implication réelle dans le monde du cannabis.
Plusieurs éléments positifs tendent malgré tout à émerger : ils pointent non pas vers le sérieux de l’entreprise (qui est de mon point de vue grillée à mes yeux au vu de tous les éléments que je viens de montrer) mais vers une implication réelle dans l’industrie du cannabis.
Une présence dans l’événementiel international du cananbis
L’entreprise participe à plusieurs événements liés à l’industrie du cannabis, et notamment à un événement les 10 et 11 septembre en Suisse : CB Expo 2022. On y retrouvera le COO de la boîte, Clifford Giesenow. On ne peut pas non plus dire qu’ils se cachent…
Des partenaires actuels qui semblent réels
J’ai commencé par envoyer un mail directement au support de Juicy Fields pour en savoir plus sur leur société. J’ai admiré leur réactivité avec un mail tout fait. Le fonctionnement de l’entreprise ainsi que son business model y a été bien expliqué :
À la fin, il me mentionne les partenaires à retrouver sur leur site officiel.
J’ai commencé à regarder leurs partenaires et à en contacter plusieurs. J’ai donc trouvé un numéro Whatsapp sur le site de The Green Side, basé en Afrique du Sud et je leur ai écrit. Ce qu’il faut retenir de cet échange, c’est que The Green Side est bien un partenaire de JF. JF a investi dans leur « Green Seed Fund / Canna Trade Africa (Pty) Ltd ». JF était également sponsor officiel de The Cannabis Expo Johannesburg.
Donc on a un partenaire réel qui nous explique que JF a bien investi dans leur entreprise, mais que leur entreprise est un grossiste mais pas un cultivateur. Pour moi ça serait OK si seulement :
– JF était clair et se présentait comme un fonds d’investissement, avec les autorisations qui vont avec.
– s’il n’avaient pas besoin de gamifier leur process avec des clones de plantes, des durée de maturation complètement bullshit…
J’ai interrogé un autre partenaire, de la société « 613 partners », toujours selon la liste officielle des partenaires relayée sur le site anglophone de Juicy Fields. J’ai eu un échange très intéressant avec une personne qui m’a également confirmé travailler avec JF en tant que consultants stratégiques dans l’industrie du cannabis. J’ai pu exposer mes différents points d’attention sur l’entreprise, notamment l’absence d’autorisation officielle pour fournir des services financiers, et la raison précise pour laquelle les fonds doivent transiter par Chypre.
La personne ne semblait pas au courant de leur montage financier à Chypre, mais elle a, je pense, parfaitement décrit la situation de l’entreprise, que je vous retranscris telle quelle : « if you are an investor, international cannabis trade and retail investing doesn’t really exist anywhere, consequently, they are betting on a young industry before the regulations are in place. Therefore this is a high risk/ high reward business ».
Cette dernière mention est de loin le plus intéressant et le plus réaliste, et je pense que ça donne bien à voir ce qu’est vraiment Juicy Fields : une entreprise qui s’est lancée dans un secteur jeune, en pleine évolution, mais sans réelle régulation et donc hautement risqué. Ce que je déplore toujours, c’est que leur discours soit extrêmement édulcoré et selon moi, il est trompeur car il donne l’impression à l’investisseur qu’il investit vraiment dans des plants de cannabis…
J’ai interrogé Cannabis International DK. Ils m’ont affirmé par mail que JF est bien leur partenaire depuis début 2021, et qu’il n’y a jamais eu de problème.
J’ai également interrogé Canna Yeza, un cultivateur en Afrique du Sud (enfin un cultivateur !) : ils m’ont également affirmé que JF est bien leur partenaire « sur la partie culture » et qu’il n’y a jamais eu de problème non plus. [Update : ce partenaire me semble très louche, j’ai creusé un peu et ce point est donc passé en red flag].
Une présence en ligne à souligner
Même si les comptes de réseaux sociaux annexes et non-officiels sont nombreux, l’équipe JF ainsi que le dirigeant Alan restent actifs sur leurs canaux officiels
Conclusion :
Est-ce que, à ce stade, je serais heureuse de confier mon argent à des gens très louches, qui nous proposent un IBAN en Chypre maquillé en adresse à Berlin ? Non. Clairement pas. Je verrai ce que la 3e phase d’investigation va donner… mais pour le moment, le bilan est négatif Michel.
Est-ce que l’implication de Juicy Fields dans le monde du cannabis est fake ? Non, elle est réelle. Néanmoins, les éléments que j’ai pu collecter à ce stade démontrent qu’ils évoluent dans une sphère extrêmement risquée (cf: leur mésaventure avec leur partenaire macédonien qui ne me rassurerait absolument pas en tant qu’investisseur). Juicy Fields ressemble plutôt à un fonds d’investissement, mais ce qui me chagrine, c’est qu’ils ne semblent pas avoir d’autorisation pour faire ça. De plus, le fait qu’ils ne fassent pas de KYC systématique, alors qu’ils proposent de toute évidence un service financier, est illégal.
Est-ce qu’à ce stade je peux dire que c’est un Ponzi ? j’ai des soupçons, et c’est surtout les résultats financiers de l’entreprise qui me chagrinent, cf le paragraphe dédié à ce sujet plus haut.
Le fait que les dirigeants soient proches de milieux russes très opaques et qu’ils semblent déjà avoir un passif dans le milieu de l’escroquerie m’amène sur l’hypothèse d’un potentiel blanchiment d’argent ou même du crime organisé, mais à ce stade ce ne sont que des hypothèses.
L’entreprise profite surtout d’un flou juridique international dans le domaine du cannabis thérapeutique : les différents revirements des gouvernements sur le sujet sont un risque évident à prendre en compte quand on investit dessus. Le business model est nouveau (aka le financement participatif déjà c’est nouveau, dans le domaine du cannabis thérapeutique c’est doublement nouveau), et les différents points opaques ou troublants que j’ai évoqué ne me rassurent pas.
Il y a un dernier truc qui me fascine sur le Ponzi, c’est les humains. Les gens sont en général très heureux d’investir sur un produit à haut rendement, et semblent surtout très heureux d’avoir trouvé cette petite astuce avant tout le monde.
Et en général, quand on leur dit que leur trouvaille est louche, au lieu de se remettre en question et de checker un peu leurs sources, ils se vexent fort. Magistrale démonstration ICI sur le forum de notre Père Tugan. J’en ai également fait la magistrale expérience récemment en étant invitée sur le canal Telegram France de Juicy Fields. J’ai eu énormément de mal à avoir un échange constructif : globalement, il s’agissait plutôt d’insultes, de moqueries, et d’arguments qui n’en n’étaient pas (du genre « ça fait deux ans que je retire mon argent et que mon investissement grossis, circulez y’a rien à voir »). J’ai malgré tout récupéré des éléments que j’analyserai et publierai au fur et à mesure.
C’est toujours le même refrain : la personne se vexe, comme si j’avais insulté ses aïeux sur 42 générations. En tout cas, je n’ai pas été éjectée du canal : un paragraphe qui figurait sur cet article et qui supposait une censure sur les canaux Telegram de JF a par conséquent été supprimé de l’article car non-fondé me concernant. Pour le moment.
Que l’on soit bien clair : que les gens fassent de l’argent avec un Ponzi, je n’ai aucun problème avec ça. À partir du moment où on est honnête avec soi-même et avec les autres, y’a 0 mal à se faire du bien.
Là où ça commence à me gratter fort, c’est quand on maquille ça avec une prétendue connaissance du secteur et qu’on se refuse bêtement à la remise en question, tout en entraînant gaiment sa communauté sur une arnaque. Assumons de faire de l’argent sur un Ponzi, à ses risques et périls : ça sera plus crédible.
Personnellement, investir dans un Ponzi me gêne éthiquement, mais ça n’engage que moi.
On fait tous des erreurs : il n’y a aucun problème avec le fait de se tromper. Il s’en est fallu de peu pour que moi-même je mette un billet sur JuicyFields, jusqu’à ce qu’une bonne âme, sur un post Instagram, me mette un jour en garde. D’ailleurs, j’ai perdu la trace de son commentaire, alors si tu passes par là, manifeste-toi ! Et un grand merci au passage 🙂
Donc se planter et passer pour un con, ça arrive. Je te raconterai un jour comment j’ai connement lâché 600€ à un fdp sur une aire d’autoroute : ça pourra te décomplexer grandement sur ta propre crédulité. Niveau naïveté, parfois, je suis la championne. Je me suis même mariée, c’est dire !
Biais de confirmation, incompétence, barrières de la langue… faire ses propres recherches c’est bien beau, encore faut-il les faire correctement, sachant qu’il y a des choses qui ne constituent en rien des preuves :
- le fait qu’on puisse retirer de l’argent d’un Ponzi n’est pas une preuve de sa fiabilité.
- le fait qu’il y ait des caméras dans les serres de Juicy Fields, est-ce que ça prouve que leur montage financier est safe ?
- le fait qu’une entreprise soit domiciliée en Europe ne veut rien dire, surtout si elle ne respecte pas les législations en place…
Autres sources :
JuicyFields der nächste große OneCoin Scam?
Anlagecheck 17: JuicyFields seriös? Deutsche (Qualitäts)Anlage
https://web.archive.org/web/20201101172835/https://juicyfields.io/faq
Juicyfields und der fehlende Umsatz
Exemple des meilleurs commentaires reçus sous cet article :